Monsieur le Président de la République,
Nous avons célébré avec vous le centenaire du Grand Liban, alors que les décombres de Beyrouth étaient entassés sur les bords des rues Gouraud et Pasteur. Cette semaine le Liban des Citoyens célèbre avec tristesse une année de souffrance, combat inégal entre le David des jeunes, aspirant au changement, et le Goliath de la classe politique irrécupérable avec qui vous avez tenté, je le sais, de raisonner en séance tenue ainsi qu’en aparté !
Monsieur le Président, vos conseillers tentent de porter le nom de Monsieur Saad Hariri a la candidature de premier ministre d’un pays ruiné, et ce, avec une piètre mise en scène, qu’il s’agit en fait d’un Nouveau millésime Hariri, portant votre « initiative » dans ses coulisses d’investiture. Je me permets de vous demander de bien vouloir nous clarifier quelle est précisément votre « initiative ». Car, de fait, nous sommes perdus, excusez-nous de notre confusion. Est-ce la promesse sans aucune garantie, d’une conférence à Paris pour venir en notre aide si vos grands élèves qui dirigent ce radeau, se transformaient soudainement en anges innocents et studieux ? Dans ce cas, je vous assure que le peuple libanais qui vous a accueilli en toute intimité, tant était-il touché par votre première visite et que vous aviez consolé, ne voudrait pas d’un gouvernement Hariri Nouveau. Le peuple libanais, pour reprendre les paroles de notre feu patriarche Hoyek, « au nom d’une confiance profonde dans la justice de sa cause », vous implore de « défendre la légitimité de ses aspirations politiques ».
Depuis notre « indépendance » en 1943, sur fond d’un pacte dit national, mais au fond plutôt un mariage de convenance entre familles marchandes, menu d’une constitution sordidement acculée par le venin du confessionnalisme, le Liban n’a pu poser aucune pierre dans son édifice national. Les institutions chéhabistes furent édifiées sur le sable mouvant d’un faux Etat et d’une nation schizophrène.
Le 17 Octobre 2019, la voie du salut pour un peuple qui cherche à récupérer son âme longtemps capturée par les anciens chefs de guerre et leur marchands ambulants s’était enfin tracée. De Tripoli a Nabatieh en passant par Jal el Dib et Beyrouth, les gens dansaient au rythme de discours non confessionnels. Telle une Agora, la place des Martyrs se transforma en théâtre de dialogue ou tout était dit dans l’ordre spontané des citoyens sans police, ni militaires. Nous y avons cru, et nous y croyons encore.
Voyez-vous, je pensais que ce message, celui de notre Révolution, vous l’aviez reçu dans son sens le plus grave. Je m’attendais à ce que le Liban mérita au moins le même intérêt que celui que portait Michel Foucault au peuple iranien quand il écrivait : « A la limite, toute difficulté économique étant donnée, reste encore à savoir pourquoi il y a des gens qui se lèvent et qui disent : ça ne va plus. En se soulevant, les Iraniens se disaient – et c’est peut-être cela l’âme du soulèvement : il nous faut changer ce personnel corrompu, il nous faut changer tout dans le pays ».
Excusez le doute, et je suis gêné en l’écrivant, La France et au-delà des sentiments sincères de fraternité et de compassion envers les Libanais, semble vouloir avancer ses lettres de créance persanes en débarquant à Beyrouth, au crépuscule de notre petite et marginale histoire. L’Iran avait bien séduit Sartre et Foucault, mais aussi et depuis plusieurs années semble avoir inspiré les géo-politologues préférés du quai d’Orsay. En 2006, Olivier Roy avait intitulé un article dans Libération : « L’Iran s’affirme en grande puissance régionale ». Vos spécialistes considèrent peut-être que sauver le Liban passerait non par l’écoute de nos cœurs révolutionnaires battant au rythme de « Tous dehors » mais par un clin d’œil envers Téhéran, la puissance régionale injustement plaquée au sol des sanctions américaines ?
Et cette confiance en Monsieur Hariri, serait-elle liée a une dette non réglée, depuis son « épisode » Saoudien ?
Monsieur le Président, oubliez les amitiés, et les notes personnelles heritees et sachez que vous êtes attendu le 17 Octobre, sans fanfare ni patrouilles aériennes, vous êtes attendu du fond du cœur saignant de notre révolution fière et pleine d’espoir.